Des partenariats pour renforcer les finances locales aux Philippines

Comment les crises impactent-elles les communautés locales et leur accès à des services publics de qualité ? Comment les gouvernements locaux et régionaux peuvent-ils formuler des réponses à ces crises pour leurs populations et de quoi ont-ils besoin pour cela ?

Comme le montre la 3ème édition du rapport de l’Observatoire mondial des finances et de l’investissement des collectivités territoriales publié en octobre 2022 par CGLU et l’OCDE, de nombreux pays subissent encore les conséquences de la crise due à la pandémie de la COVID-19. À cet égard, l’approche adoptée aux Philippines par le gouvernement, dans son ensemble, pour coordonner les responsabilités entre les différents niveaux de gouvernement est une étude de cas intéressante. Elle permet, d‘une part, de mieux comprendre le rôle que les gouvernements locaux et régionaux peuvent jouer pour répondre aux attentes de leurs populations et, d’autre part, de passer en revue les conditions nécessaires pour garantir l’accès à des services de qualité. La gestion financière et la gouvernance mises en place dans le contexte de pandémie permettent de tirer des enseignements intéressants qui constituent une base de réflexion utile pour améliorer et renforcer la résilience aux crises.

Le 7 décembre 2022, le Secrétariat mondial de CGLU a organisé un webinaire sur « Les finances locales inclusives en période de ralentissement économique et de crise » dans le cadre des Journées de la connaissance et du dialogue du réseau Décentralisation et gouvernance locale (DeLoG). L’objectif : échanger et mettre en avant des opportunités de collaboration entre les parties prenantes ayant un rôle décisionnel ou de soutien à jouer dans les finances des gouvernements locaux.

Il est indéniable que les gouvernements locaux et régionaux sont des acteurs clés pour développer des solutions pendant les crises et planifier des stratégies résilientes garantissant, sur le long terme, une relance économique et un développement inclusif. Cependant, les gouvernements locaux et régionaux ne peuvent agir seuls. Leurs actions s’inscrivent dans un cadre législatif national, dans un environnement complexe multipartite et en fonction des besoins de leurs habitants. Le webinaire s’est penché sur le cas des Philippines, où la structure décentralisée est divisée en quatre niveaux de gouvernements locaux : des barangays, niveau le plus proche du terrain, des municipalités, des villes et des provinces. Afin de disposer d’une vision d’ensemble, ce webinaire a réuni différentes parties prenantes pour échanger autour des actions prioritaires à mettre en place afin de produire un changement positif dans la structure et les tendances financières locales aux Philippines.

S’appuyant sur travaux de l’Observatoire mondial des finances et de l’investissement des collectivités territoriales, également connu sous le nom de SNG WOFI, Charlotte Lafitte, Analyste des politiques du Centre pour l’entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes de l’OCDE, a présenté, dans un premier temps, les tendances générales de la décentralisation et l’état des finances des administrations infranationales dans la région. Cette mise en perspective a permis de préparer le terrain à la discussion entre les différents intervenants. Dans ce cadre, la 3ème édition de SNG WOFI révèle que les réformes de décentralisation en Asie et dans le Pacifique ont globalement progressé, renforçant le rôle et les responsabilités des niveaux locaux de gouvernement. Bien que les dépenses des administrations locales représentent 29 % des dépenses publiques totales dans la région, une part élevée en comparaison à la moyenne mondiale, ce chiffre cache des obligations de dépenses qui sont parfois déterminées au niveau national. Ces éléments contribuent à formuler des recommandations visant à renforcer la capacité effective des gouvernements locaux et régionaux à augmenter leurs ressources propres et à diversifier leur panier de revenus.

Dans un second temps, la contribution de Veronica Hitosis, directrice exécutive de la Ligue des villes des Philippines, a donné un aperçu des défis communs auxquels ont été confrontés les gouvernements locaux pendant la pandémie. Bien que leurs finances aient été restreintes, les gouvernements locaux ont pu optimiser l’utilisation de leurs ressources pendant la pandémie grâce à la levée temporaire de certaines règles budgétaires par l’État. Parmi les moyens les plus efficaces permettant de supprimer les obstacles pour des modèles de financement locaux plus inclusifs, la stabilisation de ces mesures temporaires et la mise en place d’un cadre de financement à crédit plus flexible s’avèrent particulièrement utiles. Cela donnerait en effet aux gouvernements locaux plus d’options pour financer les services nécessaires à leur population ou encore pour embaucher des employés supplémentaires dans des secteurs critiques. En tant que garants du bien-être des travailleurs et des habitants de leur communauté, les gouvernements locaux et régionaux sont prêts à répondre aux crises de leur propre initiative, mais ils doivent être en mesure d’agir le moment venu. 

Afin de compléter la perspective gouvernementale, le directeur du Service des opérations des collectivités locales du Bureau des finances des collectivités locales, Ricardo L. Bobis Jr, a commencé son intervention en rappelant les chiffres relatifs à la performance budgétaire des administrations locales. Ceux-ci permettent d’établir que la croissance moyenne des revenus propres collectés au niveau local, soutenue avant la pandémie, est tombée à 1 % en 2021. Le rôle global de soutien et de coordination du Ministère national des finances de la République des Philippines est pluriel et vise à assurer que les outils et les politiques de gestion des finances publiques nationales et locales se complètent bien. Parmi les différentes initiatives mises en place, on retiendra l’offre d’outils financiers intégrés pour les gouvernements locaux, un tableau de bord pour évaluer la viabilité budgétaire, ainsi que des programmes de formation pour promouvoir la professionnalisation des agents du Trésor local. La décentralisation budgétaire étant un processus long et évolutif, les réformes à venir doivent s’appuyer sur des données et des analyses vérifiées afin d’assurer une planification et des procédés transparents.

En réponse, Milwida « Nene » Guevara, présidente et directrice générale de Synergeia a ouvert la deuxième série d’interventions pour partager un point de vue extérieur en tant qu’organisation non gouvernementale œuvrant pour la prestation d’une éducation de haute qualité aux enfants. Ayant travaillé au sein du gouvernement national lors du premier processus de décentralisation, « Nene » Guevara a rappelé qu’aux Philippines, comme dans de nombreux pays, les recettes ne correspondent pas aux responsabilités déléguées aux autorités locales et que les ressources sont insuffisantes pour assurer une prestation adéquate des services publics de base par les gouvernements locaux. Pour combler une partie de ces déficits financiers et de gouvernance, il est crucial de renforcer les partenariats entre les gouvernements locaux et les organisations de la société civile. Ces intermédiaires non gouvernementaux permettent et facilitent la participation de la population aux activités de planification, promeuvent le paiement des impôts, la connaissance des budgets des gouvernements locaux et même la mobilisation directe de la population pour contribuer au budget de l’éducation de manière créative, en donnant à voir les bénéfices des services financés par les impôts. L’émission d’obligations destinées à la diaspora sont également explorées comme mécanisme financier servant à canaliser les fonds des migrants étrangers qui souhaitent contribuer et investir dans le développement de leurs communautés.

S’appuyant sur les échanges précédents, Rachana Shrestha, spécialiste de la gestion publique à la Banque asiatique de développement (BAD), a clôturé la série d’interventions du panel avec une vision régionale sur les programmes menés au niveau des pays, ainsi que sur les actions destinées aux gouvernements locaux. Conformément au mandat d’intérêt général de cette banque multilatérale de développement, la réduction de la pauvreté dans les économies en développement nécessite la mise en place de réformes à tous les niveaux de gouvernement, y compris au niveau local. Le potentiel, la créativité et la capacité de mobilisation de la population par les gouvernements locaux doivent être libérés et encouragés pour résoudre les problèmes de développement, améliorer la gestion financière et la prestation de services ou encore pour dépasser les contraintes liées à la formulation de projets.

Cette réunion, accueillie par Christian Luy du Secrétariat DeLoG et modérée par Paloma Labbé du Secrétariat mondial de CGLU, a contribué construire ensemble une meilleure compréhension de la situation générale des finances locales aux Philippines. En réunissant des acteurs de terrain ayant des points de vue complémentaires, cette rencontre a également permis de mieux connaître les priorités et les besoins respectifs des uns et des autres. Ces dialogues aux multiples partenaires, fondés sur des données tangibles et des informations fiables, visent à promouvoir les initiatives et les efforts conjoints pour renforcer le financement des collectivités territoriales à long terme. Face aux crises futures, la participation de toutes les parties prenantes et la promotion d’une gouvernance pluri-niveau sont nécessaires. Cela contribue à la mise en place d’un environnement inclusif s’appuyant sur une base juridique et des partenariats qui permettent aux finances locales d’être résilientes. L’amélioration de la collecte des recettes locales, de nouvelles possibilités de financement extérieur, la régularisation des transferts intergouvernementaux, sont autant de possibilités à explorer pour un cadre budgétaire local plus large et plus inclusif aux Philippines. Par leurs décisions en matière de gestion financière et de budgétisation, les autorités locales ont un rôle crucial à jouer dans la réduction des inégalités, en aidant les groupes de personnes les plus vulnérables et en incluant les voix marginalisées.